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Carnet

Georges Bardossy (1925 – 2013)

Georges Bardossy, de nationalité hongroise, nous a quittés à Budapest le 15 avril dernier. C’était le spécialiste incontesté des bauxites, mondialement connu et apprécié dans les milieux universitaires et industriels. Une telle notoriété a été acquise au cours d’une longue carrière où la plupart des domaines des sciences de la Terre ont été explorés puisque, même si le thème « les bauxites » semble étroit, il est nécessaire pour l’aborder de pratiquer avec bonheur de nombreuses disciplines, d’être en quelque sorte un généraliste hautement spécialisé. C’est, il est vrai assez exceptionnel, d’autant plus que le contexte socio-politique de la Hongrie dans les années 50 et 60 n’était pas le terrain le plus favorable pour le développement d’une pensée scientifique originale dans des conditions matérielles normales.

Après ses études de 1947 à 1951 à l’université de Budapest, G. Bardossy a travaillé, de 1951 à 1957, à la société hongroise d’aluminium, comme géologue chargé de la prospection des gisements et de la géologie minière. De 1957 à 1963, il a été chercheur à l’Institut Géologique de Hongrie dans le domaine de la sédimentologie puis, entre 1963 et 1974, dans le département de recherches géochimiques de l’Académie des Sciences de Hongrie où il a dirigé le laboratoire de rayons X.

Durant cette période de nombreuses notes ont été publiées. Parmi les plus remarquables on peut retenir :

- une importante étude géochimique basée sur le traitement statistique de 150 000 analyses chimiques et déterminations minéralogiques sur les bauxites hongroises. Ce type d’approche, en 1959, était tout à fait nouveau par sa méthodologie, la masse de données traitées et les interprétations génétiques ;

- les travaux sur l’analyse minéralogique quantitative des roches par diffractométrie X avec mise au point d’une méthode nouvelle qui a été largement appliquée depuis dans de nombreux pays.

Cette riche expérience lui a permis de réaliser une recherche ambitieuse prenant en compte l’ensemble des gisements de bauxites karstiques mondiaux aboutissant, en 1973, à une thèse publiée d’abord en hongrois en 1977 (413 p.) puis, complétée, en anglais en 1982 (441p.) chez Elsevier sous le titre « karst bauxites ». Elle a été également traduite en russe et publiée chez l’éditeur MIR. Il s’agit d’un ouvrage de référence fondamental présentant le sujet de manière quasi exhaustive.

Dans les années 60 les travaux de G. Bardossy avaient une audience internationale mais le régime politique de la Hongrie ne permettait pas à un homme situé en dehors de la pensée officielle d’accéder à une fonction universitaire et de sortir de son pays. Heureusement, en 1965, à l’invitation de la Faculté des sciences de Paris, comme professeur associé pendant 5 mois, il a enfin été autorisé à venir en France pour donner des cours et des conférences à Paris et à Strasbourg. Sa distinction scientifique le fait élire à la Société géologique de France comme membre associé étranger. Ce séjour a été l’occasion de visiter les gisements du Sud de la France, dont ceux, célèbres, des Baux-de-Provence où la bauxite fut découverte en 1821. J’ai pu alors lui présenter les premiers résultats de mes recherches sur les bauxites du Languedoc et d’Espagne et apprécier la justesse de son analyse et la pertinence de ses conseils qu’il prodiguait avec une grande et généreuse simplicité.

De 1974 à 1985 G. bardossy a été nommé conseiller scientifique puis géologue en chef de la société hongroise d’aluminium pour diriger la prospection et l’exploitation minière. Une certaine libéralisation de la Hongrie et son ouverture vers le monde économique occidental l’ont amené à intervenir dans de nombreux pays, où des opérations sur les bauxites étaient envisageables, pour faire connaître et proposer le savoir-faire incontestable de la Hongrie en matière de bauxites. Son envergure scientifique et sa notoriété y étaient évidemment pour beaucoup.

En 1985, commence la « retraite » de G. Bardossy, lui laissant le temps d’une deuxième carrière au cours de laquelle, avec la déliquescence progressive puis l’effondrement du régime antérieur, une reconnaissance officielle est venue, enfin, compenser l’ostracisme qu’il avait subi à ses débuts. Une nomination comme professeur associé le conduit à nouveau en France pour 6 mois au cours desquels il donne de nombreuses conférences aux universités de Toulouse, Paris VI , Montpellier, et étudie les bauxites du Midi de la France. La Société géologique de France le désigne comme Vice-Président.

En 1990, il publie avec G.J.J. Aleva un ouvrage en anglais (624 p.), toujours chez Elsevier, qui constitue une synthèse magistrale sur les bauxites latéritiques. Il a lui-même étudié la plupart des gisements analysés dans cet ouvrage qui constitue une  référence incontournable pour toute étude fondamentale ou appliquée sur ce type de gisement où la totalité des occurrences dans le Monde sont traitées. Il peut ainsi développer ses idées, présentées dans de multiples notes antérieures, particulièrement sur la genèse des bauxites à l’échelle mondiale en relation avec la tectonique globale et la paléoclimatologie au cours des temps géologiques. Sa compétence peut aussi s’exprimer lors de nombreuses expertises et conférences très appréciées sur la prospection des gisements, sujet sur lequel il est fréquemment consulté. Cette expérience l’amène également à participer activement aux travaux du G.S. Téthys et au GSGP « Pangea ». La même année il est nommé professeur extraordinaire à l’université de Budapest. Il est également choisi, à deux reprises, comme Vice-Président de l’ICSOBA (Comité international pour l’Étude des Bauxites et de l’Aluminium). Il est finalement élu membre correspondant (1993) puis membre (1998) de l’Académie des Sciences de Hongrie et, à ce titre, préside plusieurs commissions.

Grâce à sa culture scientifique G. Bardossy a traité d’autres sujets que la géologie des bauxites. Il est en effet un spécialiste faisant autorité dans le domaine de l’utilisation des méthodes mathématiques en géologie. Son œuvre, par ailleurs, montrant un esprit de géologue naturaliste plein de finesse, il est exceptionnel que la même personne maîtrise également ce type d’approche comme, par exemple, le traitement géostatistique des gisements. Il a été plusieurs fois invité à donner des conférences sur ce thème dans plusieurs pays et, en France, au centre de géostatistique de l’École des Mines de Paris. Il a fait partie du groupe de réflexion de cette école sur l’économie minière et l’évaluation des gîtes minéraux. En 1997, il a été invité à inaugurer par une conférence la réunion de Barcelone de « l’International Association of Mathematical Geology ». Enfin, G. Bardossy a été nommé conseiller scientifique pour le stockage des déchets radioactifs de l’usine d’énergie atomique hongroise.

Jusqu’à la fin de sa vie G. Bardossy a gardé une jeunesse d’esprit et un dynamisme exceptionnels malgré quelques ennuis de santé qu’il surmontait avec un grand courage. Il a, en effet, publié plusieurs importantes monographies sur les gisements de bauxite hongrois et poursuivi ses travaux en géomathématique. Il  s’est aussi intéressé à l’évaluation des risques en géologie, sujet développé dans des publications et un ouvrage de 214 p. paru en 2004. Il continuait à suivre le problème des déchets nucléaires pour lequel il intervenait mandaté par l’Autorité hongroise de l’énergie atomique et travaillait à une synthèse sur les ressources fossiles et renouvelables de l’énergie en Hongrie. Enfin, dans de tout autres domaines, on relève des travaux originaux auxquels nous sommes  particulièrement sensibles puisqu’ils sont  consacrés au rôle des géologues français dans l’essor de la Géologie au XIXe siècle en Hongrie et une excellente étude très documentée sur Berthier, découvreur de la bauxite, publiée dans la série « Histoire des Sciences » des Comptes Rendus de l’Académie des Sciences de Paris. Cette remarquable activité et son parcours scientifique durant toute sa vie ont été honorés en 2012 par l’attribution de la médaille d’or de l’Académie des Sciences de Hongrie qui est la plus haute distinction scientifique de ce pays.

200 publications, dont la plupart en anglais, français, allemand et russe, toutes langues qu’il pratiquait avec aisance, ont permis à G. Bardossy d’être un des fondateurs d’une Géologie des bauxites moderne et du renouvellement radical des idées sur la place des roches alumineuses et ferrifères dans la géodynamique externe. Resté toujours attaché à son pays, pour mieux le servir, malgré l’adversité, humaniste profondément européen, il était aussi un grand ami de la France et de sa culture, aimant Cézanne et Pagnol (pour ne citer que ceux proches des bauxites provençales…) dont il connaissait toute l’œuvre. Nous n’oublierons pas Georges Bardossy dont la carrière a été celle d’un homme de caractère er de conviction, scientifique de premier plan, pour lequel la France a toujours occupé une place privilégiée.

P.-J. Combes